Les conséquences inattendues du Transit de Vénus

Publié le par Le Bateau Immobile

 

TRANSIT VENUS 2004

 

 

 

A l’annonce du nouveau transit de Vénus, c’est un grand émoi qui s’empare de la communauté scientifique mondiale en cette année 1874. Il est vrai qu’un tel transit n’intervient que tous les 243 ans, autant dire qu’il ne faut pas se rater (Pour les amateurs, ce cycle de 243 ans est en fait entrecoupé de deux transits distants de huit ans, précédés et suivis par deux périodes de respectivement 121,5 et 105,5 ans). Ne cherchons pas midi à quatorze heures : rien à voir avec les problèmes digestifs de la déesse, ce transit est le passage de la planète entre la Terre et le Soleil. Un maillage dense et la mesure du temps de transit permet de grâce à la parallaxe (comme en photographie finalement) ; associée au temps d’observation et à la latitude, de disposer d’une mesure fiable de la distance séparant la Terre du Soleil.


Vénus est la planète sœur de la Terre. Elle aurait pu elle aussi abriter une forme de vie, n’eût été la pression cent fois supérieure à la nôtre et la température au sol (400°). Son passage permet de procéder à des séries de mesures pour calculer la distance de la Terre au Soleil. Et le grand remue-méninge du XIXème siècle agite la communauté scientifique, d’autant que le passage précédent (en 1761) s’est avéré peu fiable dans ses mesures. De France, d’Angleterre, d’Allemagne, des Etats-Unis, des projets d’expédition voient le jour. Les Kerguelen ont les faveurs des Allemands et des Américains. Les Britanniques y envoient eux aussi une expédition, de même qu’à Rodrigue (900 km à l’est de Maurice), en Egypte, aux îles Sandwich (entre océan austral et Atlantique sud, à mi chemin entre Cap Horn et Cap de Bonne Espérance, à proximité de l’île Bouvet) et en Nouvelle Zélande. Les Français ne s’en laissent pas compter et montent eux aussi des expéditions scientifiques vers Nagasaki, Pékin, Campbell (au sud de la Nouvelle Zélande) et à Saint Paul. Fraichement débarqués de Métropole en août 1874 à Saint Denis, le Commandant Mouchez, commandant de l’expédition et le personnel scientifique montent rapidement à bord de la Dives, qui appareille pour Saint Paul (la Dives est aujourd’hui le nom du point culminant d’Amsterdam) en septembre : le 6 le navire quitte la Réunion et atteint Saint Paul, après un crochet par Maurice, le 23.

 

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Or c’est un vrai débarquement qui s’opère sur l’île, de quoi installer un campement pour plusieurs mois. L’expédition compte une cinquantaine de personnes, plus que n’en verra jamais plus la petite île de Saint Paul. Scientifiques, marins, hommes à tout faire, c’est un village qui s’installe. La seule installation prend un mois complet et tire avantage des campements précédents, celui des naufragés du Megaera en particulier (voir le billet sur les catastrophes maritimes). Malgré les conditions météo exécrables, l’installation se poursuit, et la Dives repart bientôt pour la Réunion, laissant à leur sort les membres de l’expédition. Le Fernand, navire de pêche réunionnais continue sa campagne à proximité. Fin octobre, les préparatifs sont achevés  et les premières observations peuvent commencer. La forte activité thermale qui règne dans l’intérieur du volcan inquiète les chercheurs, la vapeur d’eau dégagée faisant penser à une chaudière. Certaines mesures enregistrent des résurgences à plus de 80° ! Saint Paul est loin d'être stabilisée ...

 

Ces sont des conditions dantesques auxquelles doivent faire face les scientifiques, lesquels doutent du bien-fondé du choix de Saint Paul. L’échéance du 9 décembre se rapproche à grands pas, et les cieux restent plombés. Baromètre déprimé, les scientifiques n’en poursuivent pas moins leurs mises au point avec des instruments dignes de Jules Verne et du Professeur Tournesol. Faune, flore, géologie, relevés topographiques sont un bon galop d’essai avant le grand jour. La veille du grand jour, Mouchez note :  "très mauvais temps, vent du nord-est, pluie continuelle, brume très épaisse qui couvre toutes les terres, plus intense, plus basse que nous ne l’avons jamais vue. Conditions déplorables pour demain … ". Bénie soit cependant Vénus car une fenêtre, une lucarne, un œil de bœuf de quelques heures s’ouvre et les observations peuvent commencer et durer pendant tout le transit ou presque, qui dure au total six heures. Plus de six mois d'expédition pour six heures d'observation. Les conditions se dégradent immédiatement après. Les dieux de la science étaient avec l’expédition. Mouchez décide de la prolonger un peu pour entre autres affiner les mesures des latitude et longitude.

 

Au-delà des mesures du transit de Vénus, l’expédition de 1874 constitue aussi la première expédition scientifique d’envergure menée entre Saint Paul et Amsterdam. La précédente, celle du Novara de 1857, ne s’était en effet attardé que quelques heures. Jouant habilement sur les divers bateaux circulant dans la zone, les scientifiques partent tantôt pour les Kerguelen à bord du baleinier le Trident, remontent vers Amsterdam sur le Fernand (ce dernier devait faire naufrage aux abords d’Amsterdam deux ans plus tard, le Mont Fernand, point culminant du proto-volcan de l’île en témoigne). Géologue (Velain), naturaliste (De l’Isle), physicien (Cazin) se livre à la première véritable étude d’Amsterdam. Leur témoignage est en ce sens unique :

 

   « c’est en effet à sa grande difficulté d’accès qu’Amsterdam, presque toujours battue par une   mer furieuse, et défendue pour ainsi dire de tous côtés par une noire ceinture de hautes falaises infranchissables, doit d’être restée moins visitée que Saint Paul … Le sol est extrêmement tourmenté, et surtout la végétation épaisse qui le recouvre, sont autant d’obstacles sérieux qui rendent l’exploration bien difficile. Depuis le sommets des falaises, c'est-à-dire depuis trente mètre environ d’altitude [il s’agit des falaises du nord-est, l’endroit le plus accessible de l’île ; celles d’Entrecasteaux sur la côte Sud ouest dépasse les 600 mètres] jusqu’à plus de 100 mètres, des isolepis, atteignant parfois la hauteur d’un homme et si serrés les uns contre les autres qu’on a peine à les écarter, forment une large bande presque infranchissable …  Un des cratères, découpé dans le sol comme à l’emporte-pièces, véritable précipice béant large de 300 mètres et profond de plus de 100, faillit nous être fatal : des bancs de brume tellement épais que nous ne pouvions distinguer qu’avec peine le sol tourbeux dans lequel nous nous enfoncions jusqu’au genou, un vent d’une violence telle que même à quelques pas de distance, nous ne pouvions nous appeler, mirent alors sérieusement nos vies en danger ». Velain note aussi les ravages causés par les incendies causés par l'homme ou accidentels sur les phylicas et la capacité à durer plusieurs mois, alimentés qu'ils sont par le sol tourbeux. Heurtin (voir « le grand dessein de Monsieur Heurtin ») est parti depuis quatre ans déjà mais le troupeau de vaches qu’il a laissé reste limité, de même que les quelques porcs et chèvres, qui ne tarderont pas à disparaître. « Les grands albatros, les manchots et les malamochs [éléphants de mer ?] se trouvent là en nombre prodigieux et se réunissent par troupes de plusieurs milliers … quant à la faune marine, dans les grandes prairies de macrocystis [laminaires] les poissons sont encore en abondance extrême … » Velain en profite pour établir la première carte de l’île, qui devait faire autorité pendant un siècle, soit bien après l’arrivée des premières missions de l’après-guerre.

 

Tentant tant bien que mal d’en finir avec la recension d’un nouveau monde, l’expédition met les bouchées doubles avant de repartir en janvier 1875, laissant pêcheurs et chasseurs d’otaries à leur dure vie. La plupart des noms de ces scientifiques sont cependant oubliés, puisque hormis les navires la Dives et le Fernand, Dumas, secrétaire perpétuel de l’Académie des Sciences et organisateur de l’expédition (sans y avoir pris part pour autant), les autres protagonistes ont été oubliés par l’histoire, Velain en particulier qui a beaucoup œuvré pour améliorer la connaissance des deux îles. Le transit de Vénus a ainsi fortement contribué à améliorer la connaissance que nous avons des deux îles de Saint Paul & Amsterdam.

 

Selon la latitude où vous vous trouvez, pas de panique si vous avez raté le transit de 2004. Le prochain aura lieu le 6 juin 2012, vous avez donc le temps de vous préparer. Ensuite, ce sera pour 2117 !

 
 

LMGB

 

photos : transit de Vénus 2004 devant le Soleil photo libre de droit, et un aperçu de paysage des hauts de l'île, en bordure de caldeira

Publié dans HISTOIRE

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R
article fort pédagogique. J'ai loupé celle-là, va falloir attendre quelques années maintenant ...
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