Lettres australes 3

Publié le par Le Bateau Immobile

 

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Jacques Nougier : Les Corsaires des Terres Australes, Ed. de la Dyle, 400 p.


Après Pirate de légine, nouvel ouvrage de Nougier, qui s’attarde cette fois sur un fait oublié de la seconde guerre mondiale, l’utilisation par des corsaires allemands de la Kriegsmarine des Kerguelen comme base arrière. Ces corsaires étaient le plus souvent des cargos armés et équipés de moyens militaires (un mini hydravion par exemple) et sans aucun signe distinctif sur la coque, tout juste un nom et un vague port d’attache. Leur mission était d’écumer l’Océan Indien et les mers australes, torpiller des navires ou les faire prisonniers, et de couper les liens commerciaux entre l’Australie et l’Afrique du Sud, et au-delà l’Angleterre. La saisie de baleiniers et de la précieuse huile dont tous les belligérants avaient un besoin crucial était aussi au programme. Mais ces corsaires ne dédaignaient pas hanter toutes les eaux de l’Océan indien, du détroit de Malacca à la Mer Rouge, de la mer d’Oman aux cailloux inhospitaliers des 40ièmes voire au-delà.


L’Atlantis, dont le livre retrace le parcours entre les Kerguelen et Saint Paul, a pour mission de s’assurer des abords des Kerguelen, puis d’installer des réservoirs de carburant à Saint Paul. Dans le même temps,  quatre hommes, trois anglais prisonniers placés sous le commandant d’un officier allemand traversent la Grande Terre de Port Couvreux à Port Jeanne d’Arc, périple de soixante kilomètres à travers une terre inconnue, pendant lequel les quatre hommes vont vivre une réelle remise en question. D’autres navires sillonnent les eaux séparant Kerguelen de Saint Paul (1.500 km d’eaux en perpétuelle furie), des opérateurs radio surveillent en permanence les échanges entre Berlin et l’Atlantis …


Nougier est un grand conteur et sait alterner les allers retours entre le temps de la narration et celui des anecdotes passées. A partir de cette anecdote peu connue, il parvient à remettre en mémoire beaucoup de faits passés, et fait revivre avec pas mal de talent les situations, que ce soit la découverte du cratère de Saint-Paul, celle de la base baleinière franco-norvégienne de Port Jeanne d’Arc. Malgré quelques digressions inutiles, le livre est captivant.


Le petit extrait : « ils arrivèrent enfin au sommet de la falaise. La vue portait maintenant sur une vallée suspendue qui s’étendait vers l’est, presque dans la bonne direction. Au loin, on reconnaissait un lac très allongé, un autre encore et peut-être la mer. Sur la droite, ile redécouvrirent le double pic du Mont Ross, qu’ils avaient perdu de vue depuis l’entrée de l’Atlantis dans le bassin de Port-Couvreux. En souvenir de vacances italiennes qui lui avaient laissé un agréable souvenir avant la guerre, Tyssen décida d’appeler cette vallée « le Val d’Aoste »  … ».

 


Yves Vallette : Ceux de Port-Martin, Pionniers de Terre Adélie, 250 p.


Ce petit livre – sans doute introuvable, il a été édité à compte d’auteur – est le journal de bord de la première expédition française en Terre Adélie après la guerre. A l’époque, les territoires étaient loin d’être attribués, et les contestations entre pays nombreuses. La France revendiquait un segment du continent antarctique, ce que lui disputaient d’autres pays (la Norvège par exemple), au motif que nous n’y avions aucune activité ni même aucune présence. Y Vallette, rentrant d’une expédition au Spitzberg en 1946 prend par hasard connaissance de la revendication et décide de monter une expédition. A l’époque, la France partait de loin sur le sujet, avec peu d’expérience (Paul Emile Victor était l’un des rares à disposer d’une certaine notoriété en la matière), pas de bateaux adéquats (celui de l’expédition devait être acheté à San Francisco !). On devine bien d’ailleurs que « la récupération » de l’expédition par P.E. Victor ne fait pas que des heureux parmi les tenants du projet, mais c’est la condition pour l’obtention des budgets. Après une première tentative en 1948 qui se solde par un piteux retour à Brest, l’expédition reprend la mer en septembre 1949 et atteint la Terre Adélie en janvier 1950. C’est le début de l’existence de Port Martin (nommé ainsi à la mémoire d’un des membres de l’expédition mort en mer d’une rupture d’anévrisme). La suite est une longue litanie de tâtonnements, d’apprentissages, de découverte d’un milieu implacable.


C’est à partir de cette mission qu’une présence régulière a pu être établie sur place. Si la première base a brûlé en 1952, la présence a ensuite été assurée sans discontinuer à partir de l’Année Internationale de Géophysique (1958), et ce jusqu’à aujourd’hui.


Le petit extrait : « A 200 mètres environ du camp, ils restent un quart d’heure sur place, faisant de vaines tentatives pour avancer. Une rafale renverse le traineau et fait tomber un sac qu’ils ont bien du mal à ramasser. Ils tombent souvent, mettant plusieurs minutes à regagner le traineau. (…) A cet endroit précis, c’est le silence total. Rien ne permet de deviner que le vent est là à dix mètres de distance où il souffle à 100 km/h. Depuis plusieurs jours, ce vent sans blizzard a entraîné la moindre particule de glace et rien ne vole, le vent coule simplement en fluide parfaitement silencieux, dans ce paysage mort et désolé ».


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Toponymie des Terres Australes 

 

Je finis pour aujourd’hui avec un ouvrage de référence que j’ai retrouvé à la faveur d’un grand nettoyage de la Mairie. Si les cadavres de cloportes millésimés peuvent parfois abonder dans les recoins du bâtiment, il y a aussi quelques pépites oubliées. Cet ouvrage en fait partie. Si vous vous souvenez du billet « mon nom sur la carte » l’attribution de noms à des lieux des Districts Austraux est de la responsabilité d’une très officielle Commission de Toponymie.


La synthèse de son travail fait l’objet d’une publication régulière (je n’ai pas dit fréquente, mon édition date de 1973, et quand je vois son état de fraicheur, je crois qu’elle a été peu consultée). Inutile de dire que la pagination est proportionnelle à la taille des territoires, et qu’à ce petit jeu, les Kerguelen en représentent l’essentiel, loin devant les Crozet, puis les vingt petites pages consacrées à Amsterdam et Saint Paul. Certains des noms sont complètement tombés en désuétude, telle cette Pointe du Cabot Bleu au sud est d’Amsterdam, ou encore ce rocher Durandal, la Rookerie ou encore la Roche-Godon. Les origines d’autres sont oubliées, seule la tradition continue à les faire survivre, ainsi les Pointes Hutchinson ou Schmith, cette dernière étant tellement étonnante que l’on pourrait croire à une association entre Smith et Schmidt. Au fil des pages, on en apprend aussi beaucoup sur les navires, ou les marins (avec les noms descriptifs du type Chaudron, Caldera, ce sont les trois grandes sources d’appellation).


Evidemment, nous avons-nos curiosités : le ravin des Noctambules, ainsi dénommé parce que deux géographes déposés en 1967 par hélicoptère dans le sud est de l’île avaient dû rentrer à pied à la base sans équipements et sans vivres. Surpris par la pluie, ils avaient dû passer la nuit dans un ravin. A vol d’oiseau, le ravin (un bien grand terme, ravine serait plus correct) n’est distant que de cinq kilomètres de la base, mais le terrain est difficile, couvert de scirpes, plein de rochers et de dévers qui ralentissent la marche. Le seul sentier de la zone s’arrête environ deux kilomètres plus au nord, mais ne devait même pas exister à l’époque. Le Museau de Tanche désigne un des plus petits cratères de l’île, qui rappelle vaguement le poisson. On aurait pu trouver mieux tout de même…


(Pas d’extrait, puisqu’il n’y a pas de rédactionnel)


LMGB

 

photos : Port aux Français, Archipels des Kerguelen, les trois livres du jour sur la table de la Mairie

Publié dans GENERAL

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B
Magnifique photo (la table bien sûr). Bises
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