Meurtre à Amsterdam - 1

Publié le par Le Bateau Immobile

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[premier rendez-vous d’une série que je vous propose ici, un épisode d’une nouvelle à suspense, en ligne une fois par semaine, le samedi, prétexte tout trouvé à présenter les TAAF et le District de Saint Paul & Amsterdam sous un angle différent]

 


1-      La Cale


C’était une matinée de printemps comme on les imagine. Sauf que dans les quarantièmes, une matinée de printemps n’a rien de ce qu’on imagine. A 13.000 kilomètres de la Métropole, le District de Saint Paul & Amsterdam est inconnu de la plupart. Ses voisins les plus proches sont l’Australie à l’est, les Kerguelen au sud et la Réunion au nord-ouest. Une semaine de mer au bas mot pour rejoindre cette dernière dans une mer souvent impossible.  Même au sein des Terres Australes et Antarctiques Françaises, Amsterdam fait figure d’île rebelle, où les choses ne se passent pas comme ailleurs. Ronde comme une pleine lune, dominée par les deux silhouettes imposantes de ses deux grands cratères, ses falaises lui ont longtemps fait la réputation d’une île inabordable, marquée par un nombre incalculable de naufrages depuis les premiers temps de la navigation au large. Un mur contre lequel vous jettent les pires tempêtes du globe. Le silence qui suit l’évocation de son nom chez les vieux marins de l’Océan indien en dit long.


Un semblant de présence y existe pourtant, accroché comme un désespéré au bord de l’eau, base de recherche hébergeant une vingtaine de personnes, tentant vaille que vaille de perpétuer une présence humaine.


Une matinée bien ordinaire donc, où chacun prend sa place sur la petite base des Terres Australes, le cuisinier déjà derrière ses fourneaux ou à faire ses aller-retour entre cuisine et  containers réfrigérés, l’ornitho en route pour aller observer otaries et éléphants de mer à quelques centaines de mètres de la base, les premiers pécheurs ou poseurs de casiers qui se préparent à descendre sur le rivage.  Une matinée bien ordinaire, où comme souvent le soleil illumine depuis l’aube la base, dans un ciel azur, sans un seul nuage.


Frisco fait partie de ceux-là et comme souvent le samedi se prépare à aller relever les casiers posés la veille au soir. La saison a bien donné en langoustes, et les derniers jours promettent de finir de remplir les congélateurs en attendant le départ des hivernants dans quelques mois. En descendant vers la cale, seul point d’atterrissage sur l’île, il aperçoit au loin Etienne, qui part de son côté pêcher en bas des falaises du nord ouest, et va comme toujours descendre le long de la main courante avec ses cannes et son matériel. Il ne la lui fera pas celui-là, avec ses faux airs, la seule chose qui l’intéresse est de connaître ses coins à lui, mais en vieux Réunionnais qu’il est, il observe son silence habituel en guise de réponse à toute question sur le sujet. Le reste n’est que silence, les autres dorment encore ou sont invisibles. Le chef du District – « Marmaduke, mon Dieu quel surnom ridicule » -  doit comme d’habitude être au petit déjeuner à blaguasser pour ne rien dire avec le cuisinier qui le lui rend bien, les autres encore dans les bras de Morphée, la généreuse Morphée. Un samedi ordinaire, fait de repos et de détente, sur le bout de caillou comme ailleurs.


Chemin faisant, Frisco voit que les otaries ont bien grandi depuis leur naissance à l’automne dernier et qu’il devient difficile de jouer avec. Un coup de mâchoire ne prévient pas et leur taille presque adulte a de quoi dissuader. Les quelques lacets de la descente vers la cale sont pour lui un bonheur sans cesse renouvelé, au dessus de la mer d’argent, visible à 180°, le bruit des vagues qui viennent casser sur le vieux quai et qui vous appelle, et comme toujours une mer vide de toute présence, juste l’immensité à perte de vue. L’endroit est un monde à part, une avancée vers l’océan, que les vagues recouvrent régulièrement, et encadrés de rochers. Quelques pétrels passent dans le ciel à la recherche d’une nouvelle proie. A quelques mètres du bord, on a l’impression d’être seul au monde, même la base est loin, une île sur une île. Routine des gestes, gaffe à la main, Frisco ramène son premier casier. Pour une fois il a renoncé à les immerger un peu plus loin, les va et vient en palmes dans l’eau froide commencent à le fatiguer. Depuis dix ans qu’il effectue des missions ici, chaque geste est devenu immuable, au fil des années un peu plus difficiles. Et puis les missions ont bien changé, plus rien à voir avec l’esprit des premières qu’il a connues. Il est temps de raccrocher, et de rentrer une bonne fois pour toutes à la Réunion, profiter de la case achetée sous à sous.


-          Même les langoustes ne veulent plus de moi !  

se dit-il en sentant que le premier casier est vide ou presque.


-           Encore une zorite qui est venue se nourrir de ma pêche ,,, Je ramène les casiers fissa, et je remonte au jardin faire mes tomates !


Le casier en effet vide apparaît déjà à la surface de l’eau, les appâts à peine entamés par les crustacés pourtant voraces. Le second, pourtant plongé à l’endroit le plus prolifique, donne le même résultat, à peine une dizaine, dont la plupart ont à peine la taille minimale. Même pas de têtes vides laissant deviner un pillage en règle par les pieuvres, qui elles aussi abondent dans les eaux d’Amsterdam.  


-          Si le troisième est vide, c’est décidé, c’est ma dernière mission ! 

se dit enfin Frisco en saisissant à pleine main l’amarre qui relie le casier à la bouée. Le poids semble plus lourd et du coup il hésite entre la satisfaction d’une bonne prise et la déception de ne pas pouvoir s’imaginer dans son jardin toute l’année.


Les doigts qui apparaissent crispés au grillage  lui ont d’abord fait croire aux pattes d’une langouste plus grosse que nature, mais le bras qui les prolonge n’a rien de comestible. Sauf pour ces dernières, qui ont commencé à entamer la peau et la chair. Des fragments d’une manche bleue subsistent encore. Au fur et à mesure que le casier remonte, apparaît le bras, puis le reste du corps, ou de ce qu’il en reste, les poissons sont passés par là. Le visage est méconnaissable, globes oculaires vides, lèvres disparues, joues déchirées, une vraie curée sous-marine. Une partie du corps a été arrachée, un orque peut-être, un requin …  


-          Il y en a qui ne respecte rien, même pas la pêche des autre, mauvais carri 

marmonne Frisco en remontant le casier et son funèbre contenu. Même les éléphants de mer, pourtant peu regardants, semblent peu apprécier l’odeur du cadavre. En regardant vers le large, il voit le soleil se refléter sur la mer étale, croit deviner des souffles de cachalots, en train de faire des chasses merveilleuses. La dépouille de ses orbites vides semble lui aussi fixer la ligne d’horizon, à guetter un navire qui ne viendra jamais. Sa mâchoire tombante lui donne un air mi-surpris, mi-amusé.


-  J’aurais mieux fait d’aller à la pêche au lieu de venir aux casiers, je sens que la journée va être chargée, mais pour la langouste, je crois que c’est mort

Regrette-t-il en prenant sa radio.


 …Marmaduke, nous avons un invité qui a oublié de nous prévenir. Tu peux descendre à la cale ? Oui, je suis d’accord, les gens sont de plus en plus mal élevés, il aurait pu nous envoyer un fax. Non, je n’ai pas mis l’échelle en place, notre invité n’en a pas eu besoin pour monter sur le quai …


La radio grésille, mais une voix se fait déjà entendre

-          Je descends …

Publié dans MEURTRE A AMSTERDAM

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R
la suite, la suite !!!
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L
<br /> <br /> (seconde tentative de réponse !) ça vient, ça vient ... temps de misère sur Amsterdam aujourd"hui, fortes rafales de vent, pluie diluvienne, même les otaries remontent dans la base, on va les<br /> avoir dans les bâtiments bientôt ! Journée donc propice à un peu d'écriture, je sens une légère odeur de mazout et de peinture aujourd"hui, un bateau insaisissable ...<br /> <br /> <br /> <br />
B
??!! faut trouver quoi : le mort ? une chose est sûre LMGB a répondu, il est vivant ! bises australes
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L
<br /> <br /> non, il faut juste lire, mais il est possible d'échafauder des hypothèses ! La suite pour aujourd'hui si tout va bien ...<br /> <br /> <br /> <br />