Les mystères de la Grande Coulée

Publié le par Le Bateau Immobile

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C’est l’un des paradoxes les plus marquants de l’île d’Amsterdam : la plus grande coulée volcanique identifiée passe à proximité du seul endroit habité en permanence, à savoir notre base, descendant en ligne droite des deux cratères Venus (c’est ainsi, nous avons deux Vénus ici), relayée en contrebas par le cratère Dumas. Ce dernier est d’ailleurs celui qui a eu la dernière activité volcanique, il y a à peine plus d’une centaine d’années.  La base, à peu de choses près (le bâtiment de travail de Pointe Bénédicte à 20 mn d’ici, les cabanes d’Antonelli, de BMG et d’Entrecasteaux),  la seule zone construite de l’île est donc dans le prolongement de cette coulée.


La première chose à spécifier sur le sujet est que cette sortie sous terre ne s’improvise pas, et au-delà du plaisir de remonter des galeries peu fréquentées (voire pas dans des variantes ou tout en haut du tunnel), l’objectif était aussi de valider la faisabilité. Un équilibre psychologique et la maîtrise de soi sont des choses indispensables. Je me souviens par exemple avoir fait visiter le volcan de la Réunion à une amie qui craignait une éruption géante, entre Hollywood et Krakatoa, la route de terre s’effondrant, une mer de lave déchaînée etc. Ce genre de questions sous terre peut faire du dégât, aussi bien pour soi que pour les autres (et puis c’est pratique d’avoir quelqu’un qui reste à la surface pour la veille radio !). Certains passages sont trop délicats – par leur exigüité en particulier – pour avoir quelqu’un pris de panique. Côté matériel, du très classique, casque et gants, lampe (avec accus chargés ou piles de secours), chaussures de marche, et des vêtements qui ne craignent rien, RIEN !! Casse-croûte, eau, appareil photo (un petit), un gros est quasi impossible à utiliser et en route …

 

 

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La descente se fait par une entrée facile d’accès, située à proximité de la base (20 mn à pied tout au plus). C’est ensuite un jeu qui s’installe, entre passages à couvert sous la voute de lave, et les retours à la surface, dans le sillon de lave. Dans les zones à découvert, les sédiments se sont accumulés, sur lesquels de véritables jardins ont pu se constituer. Bien à l’abri du vent (le sillon a le plus souvent entre 5 et 15 mètres de profondeur, sa largeur va de quelques mètres à plusieurs dizaines), ont ainsi pu pousser plusieurs espèces ailleurs menacées ou disparues. Les phylicas par exemple ont trouvé un terrain de prédilection dans la dernière percée, où ils ont crée un cordon vert que nous longeons. Dans l’obscurité des coulées, les pluies ont là encore drainées des sédiments, que des barrages de pierre viennent parfois bloquer. Gare à celui (ou celle !) qui met le pied dans les 50 cm de boue parfois présents. Cette boue a permis à certains de laisser leur nom sur les parois de tunnels.


Parfois, les passages se font plus difficiles, une prise pour le pied, le passage étroit sur lequel le casque vient cogner, le visage au ras des arêtes effilées, mais ça passe mais pour les plus musculeux et carrés d’épaules comme moi ! Je ne passe pas des heures en salle de sport pour rien au moins !


Sous nos pieds … nous ne savons pas … Il y a sans doute bien des salles et des galeries que nous ne connaissons pas et où sans doute personne ne mettra jamais les pieds, murées sous des tonnes de lave refroidies. Peut-être un trésor qui sommeille, celui de la Buse ou un autre encore … Pour les plus coriaces, il est en plus possible de se glisser le long de rochers obstruant des cavités en contrebas … le tout est de savoir où l’on pose les pieds, sachant que chaque pas est une remise en question potentielle,  les rochers étant posés sans plus de stabilité.


Peu à peu, nous remontons donc vers les sommets de l’île. Rien ne nous presse, en ligne droite, la Grande Coulée fait à peine plus de 1,5 km jusqu’à son terme au pied du cône de Vénus. Mais le Vénus lui-même n’est qu’un avatar du volcan, distant de 3 km. Entre les deux, subsiste tout un terrain que personne ne connaît.


En cheminant,  les pensées vont-elles aussi leur train, vers les naufragés qui se sont peut-être réfugiés ici , vers la puissance des éruptions qui ont pu donner lieu à la création de tels canaux (parfois plus de 2 mètres de haut, trois ou quatre de large, et de lave sans doute très liquide, les masses aujourd’hui statufiées étant très dynamiques et n’évoquant pas de lourds amas de cordes comme parfois à la Réunion (Ravine Citron par exemple pour les amateurs). D’un coup, l’échelle du temps prend une autre dimension : le volcan se serait édifié il y a 100.000 ans (époque Brunhes, du nom de Bernard Brunhes, Normale Sup, et géophysicien de la fin du XIXème).


Il faut parfois rebrousser chemin, bloqués dans un cul-de-sac, au pied d’une paroi verticale d’une dizaine de mètres de haut. Comme le minotaure, nous cherchons le chemin dans ce labyrinthe, comme dans nos vies, certains la passeront à chercher un chemin qui n’existe pas, d’autres trouveront la lumière sans même l’avoir vraiment  voulu. La remontée se fait au bout de la dernière coulée ouverte. La cratère du Vénus est là tout proche. Quelques heures de ballade pris au temps, retour sur base hors sentier, une heure et demi à deux heures tout au plus.


 

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Autour de nous, les zones d’effondrement ne manquent pas : à quelques minutes d’ici vers le sud-est, la zone du cratère Dumas et compte beaucoup d’endroits où le plafond est effondré, laissant voir des salles de dimensions plus ou moins importantes. L’une d’entre elles, qui affleure à quelques dizaines de mètres du chemin, est si vaste que le rayon d’une lampe ne permet pas de voir le sol (même si mes piles ne sont pas de la première jeunesse !). La prudence s’impose, mais de toutes les façons, le simple fait d’être sur l’île nous impose de marcher sur des coulées plus ou moins stables, sauf à ne jamais quitter la base. La présence de fougères serait un signe d’une couche fine, à même de s’effondrer. Nous ne ferons jamais le tour complet de ce dédale de couloirs et de salles, l’île gardera donc éternellement une (grande) partie de son mystère …

 

LMGB

 

Photos : 1 (vue d'un puit accessible uniquement par un tunnel et 3 LMGB, 2 (entrée des artistes), J LUDWIG

Publié dans GEOGRAPHIE

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B
Approche plus aventureuse et décor plus sauvage (quoi que) nos tunnels de lave du Sud apparemment mais moins colorés aussi (?) semble-t-il.
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