Tempête dans un verre d'eau

Publié le par Le Bateau Immobile

 

 

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Il est sans doute écrit que cette 63ième Mission vivra tout ou presque. Après les tempêtes que nous avons essuyées ici cet été, fin de cyclones ou de fortes dépressions tropicales qui venaient mourir ici (chacun sait que contre la dépression tropicale, un seul remède est bon, le tit punch et un air de séga !), nous avons vécu une alerte tsunami le 11 avril au soir.

 

Les deux tremblements de terre de Sumatra (respectivement de 8,7 puis 8,2 sur la très contestée Echelle de Richter, ça laisse des traces sur notre sismographe) ont conduit toute la zone de l’océan indien à prendre des mesures d’urgence. Amsterdam en dépit de l’éloignement est très concernée par le phénomène : rien en effet ne s’oppose aux vagues entre la zone très instable au large de Sumatra et ici. Les 3.000 kilomètres en ligne droite du nord est vers le sud ouest qui nous séparent de la grande île indonésienne ne sont pas grand-chose pour les plus grands tsunamis, puisque les experts (si tant est que l’on puisse être expert sur une chose aussi peu connue) estiment qu’un tsunami peut se déplacer à la vitesse de 700 km/h. En quatre heures, la vague est donc ici.

 

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Pour les gens de l’estuaire (comment ça, « quel estuaire ? » celui de la Gironde bien sûr, je n’en connais pas de plus beaux) et familier du mascaret, les deux n’ont bien sûr rien à voir : le mascaret est dû à la marée montante, étranglée entre les rives d’un fleuve qui concentre la houle et provoque donc une vague plus haute. La Loire connaît aussi ce phénomène. La hauteur redescend dès la vague passée. Un tsunami c’est autre chose : ça n’est pas une vague, c’est un train de marchandises plus qu'un mur. Non pas forcément à cause de la hauteur, mascaret et tsunami peuvent avoir des hauteurs proches, mais à cause de la longueur de l’onde : le flot dure en effet très longtemps et dévaste tout. Çà n’est pas non plus une vague scélérate, phénomène du large. Ça n’est enfin pas un raz de marée (encore moins électoral), qui est lui dû au vent, et qui malgré son nom n’a rien à voir avec la marée.


Le tsunami de 2004 est encore dans toutes les mémoires. C’est probablement le plus puissant des cinquante dernières années. Les scènes apocalyptiques, les dégâts, les pertes humaines sont impossibles à chiffrer, surtout dans une région aussi pauvre. On connaît moins celui d’Okushiri en 1993. « La submersion du Japon »  (le titre est celui du roman de Komatsu Sakyo, excellent et disponible à la petite bibliothèque de chez moi) est un sujet majeur chez les Japonais. Hokusai a d’ailleurs représenté la vague mortelle dans l’une de ses fameuses  « trente six vues du Mont Fuji »). Celui de mars 2011 dans le Sendai a encore contribué à façonner les esprits et à renforcer la croyance que le Japon finira submergé par un phénomène d’une autre ampleur, sans même parler des aspects collatéraux, nucléaire et dépendance de l'activité mondiale vis à vis d'une zone économique vitale. L’effondrement prévu du volcan Kilauéa à Hawaï est l’un des risques majeurs recensés et pourrait toucher les deux rives de l'océan, noyer Tahiti, les Marquises, bien d'autres paradis encore. Les catastrophes majeures se sont pour l’essentiel produites dans la zone Pacifique, où s’entrechoquent plusieurs plaques tectoniques ; Mais l’Atlantique est aussi une zone à risque, comme la Méditerranée.

 

Un tsunami nait donc le plus souvent d’un tremblement de terre ou de l’effondrement d’un volcan (le feu et l’eau en quelques sortes). Deux plaques se percutent, ou l’une prend le dessus sur l’autre qui s’affaisse, crée une dépression, qui se répercute en surface, et fait s’engouffrer l’eau dans l’espace créé. Sans trop entrer dans les détails, le type de tremblement de terre engendre ou pas un tsunami. La percussion de deux plaques face à face créera une dépression moindre et donc un déplacement d’eau de plus faible ampleur par rapport à l’affaissement d’une plaque sous la poussée d’une autre.

 

Au large, avec des fonds de plusieurs milliers de mètres, le phénomène reste anodin. Mais en approchant des côtes et en butant sur les hauts plateaux continentaux, les masses d’eau remontent à la surface et contribuent à amplifier la masse d’eau. La hauteur d’eau (on parle souvent d'un mètre d’eau au large), peut ainsi passer à plusieurs mètres à l’approche des côtes, voire plusieurs dizaines de mètres. On retrouve bien l’étymologie du Japonais « tsu » port et « nami « vague », le phénomène étant surtout sensible à l’approche des côtes. C’est aussi pour cette raison que l’on retrouver ensuite sur les côtes des poissons que personne ne connaît, remontés des profondeurs par la force des courants mis en œuvre.


Si vous entrez un jour en bateau dans le cratère effondré de Santorin (ce que je vous souhaite, c’est l’une des plus grandes émotions de ma vie, la beauté du lieu, l’histoire mais aussi la taille du site), vous imaginez la masse d’eau déplacée par l’effondrement du volcan, lui-même engendré par un tremblement de terre majeur. On mesure notre petitesse physique à penser à la hauteur du mur d’eau. Quarante, cinquante mètres de haut ? Minos ne s’en serait jamais remise, même si la colère des Dieux est un argument facile pour dissimuler les querelles de pouvoir (Minos a en fait sombré dans les guerres intestines cent ans après l’explosion de Santorin, vers 1450 avant JC, après Santorin, faites donc un saut en Crète !).  


Amsterdam est sans doute, malgré sa position géographique en première ligne face à la Sumatra, la Terre Australe la moins menacée par un tsunami. L’île est en effet escarpée, et la base perchée à environ trente mètres. Seule la cale serait submergée. Crozet et sa manchotière, Port aux Français avec ses installations au ras de l’eau pourraient être plus touchées, d’autant qu’un effet de golfe pourrait encore accroître le risque. Amsterdam est par contre ronde, l’eau ne peut rebondir sur aucune paroi rocheuse à part le socle sous-marin. Il n’empêche que par précaution tout le monde a été gentiment prié de rentrer à la base, que le littoral a été fermé à toute activité, la cale laissée aux otaries et autres éléphants de mer.

 

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La nuit est passée sans rien de notoire sur Amsterdam, aucun signe d’agitation chez les otaries, les éléphants de mer ou au large. Aucune algue arrachée ou de retrait soudain de l’eau … Alerte levée le 12 au matin.


Vendredi 13, nous en finissons avec les suites de la dernière escale, le Marion est reparti depuis presque une semaine déjà (et a touché la Réunion hier) … une heure passée à charrier les stocks d’urgence d’eau, remplacer les anciens par les nouveaux à l’hôpital.  Près de quatre tonnes d’eau en bouteilles bougée en une heure. Le vrai tsunami était là, et si nous en restons là, personne ne s'en plaindra.


LMGB

 

photos : Hokusai, La Grande Vague de Kanagawa ; scan de notre sismographe (avec la collaboration de notre Magne-Sismo), manchot après le passage du tsunami de 2004 à Crozet (photo prise par un hivernant anonyme)

Publié dans GEOGRAPHIE

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R
sans déc, là je vais me coucher moins bête !!! superbe exposé !
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