Adieu à l'Austral

Publié le par Le Bateau Immobile

 

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Grand événement aujourd’hui à Amsterdam : l’Austral, seul et unique bateau de pêche autorisé à travailler dans la ZEE arrête sa campagne de pêche et reprend la route de la Réunion. C’est la fin de la saison de la langouste et la bouée de passage officielle vers l’hiver.


En six mois de présence (de novembre à avril), l’Austral est devenu une composante majeure de la vie du District. Les passages devant la cale de ses canots, les comms radio, les échanges de bons procédés, les échanges alimentaires, mais aussi les trois évacuations sanitaires sont autant d’occasions de mesurer que les pêcheurs et hivernants sont mutuellement indispensables.

 

Le moins que l’on puisse dire est que la solidarité des gens de mer n’est pas un vain mot. Nous avons parfois partagé avec le capitaine nos impressions sur nos métiers respectifs. Je ne crois pas que nous échangerions nos places, ni lui ni moi. Il y a de grandes similitudes entre les deux métiers, à ceci près que le mien s’exerce dans des conditions autrement plus confortables. Pour le reste, c’est assez proche, avec les mêmes problèmes de gestion de groupe, d’atteintes des objectifs, les mêmes plaisirs, les mêmes petites faiblesses à traiter. Même solitude. Les marins qui montent à bord de l’Austral sont un peu les aristocrates de la pêche réunionnaise, un peu comme les hivernants présents ici sont des privilégiés, même si nous l’oublions parfois. Là où vous ne verrez sans doute qu’un navire fatigué par une mer hostile, aux innombrables coulées de rouille le long des flancs, j’imagine une étrave qui avance dans des zones où peu ont le privilège d’aller.

 

On ne dira jamais assez la dureté du grand métier (« le grand métier » est le titre d’un livre de Jean Recher, journal de bord d’un capitaine de pêche de Fécamp sur les grands bancs de Terre Neuve, lecture que je ne peux que recommander). C’est la pêche qui commande, de jour comme de nuit, tous les jours de la semaine, et le plus souvent dans des conditions de mer difficiles. Le milieu est dur, la mer est dure, et l’outil qu’est ce bateau est exigeant.

 

La pêche à la langouste est assez simple : l’Austral met à la mer ses caseyeurs, le plus souvent pour une grosse demi-journée … ou plus. Ces embarcations mettent à l’eau les casiers (des centaines de casiers !) tantôt dans des eaux profondes, tantôt plus près des côtes. A proximité des côtes, les langoustes sont plus petites (attention au gabarit, on ne pêche pas n’importe quoi !) et d’un goût plus délicat. Plus profondément (entre 100 et 200 mètres), on ne pêche que des langoustes adultes, au goût plus affirmé. Si le sort le veut bien, quelques zorites seront aussi remontés dans les casiers. On met à l’eau, on immerge les casiers, on remonte, on transfère le contenu des casiers dans la cale, on remet à l’eau, on vide le caseyeur, on repart récuperer les casiers. Passer la journée sur un canot ou un caseyeur n’a rien d’une sinécure : en gros, ces embarcations sont aussi profilées d’une boite à savon, à la différence près que la baignoire, c’est l’Indien sud. Bateau utilitaire, l’important est la petite cale, le reste est conçu autour. Peu encombrant, on suppose qu’il roule abominablement dès que la houle est par le travers. Mais son aspect très compact doit le rendre très résistant aux vagues.

 

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La pêche au sein des TAAF est très réglementée, que ce soit sur les volumes ou sur la qualité. Le quota est fixé au global à 400 tonnes. Là où le jeu se complique, c’est qu’il existe des quotas entre zones côtières et eux profondes, entre Amsterdam et Saint Paul. Mais le patron du bord doit aussi composer avec la demande, car comme toujours le marché dicte ses conditions. Langoustes entières cuites ou crues, ou conditionnées en queues, le succès de la prise dépend aussi de  cette adéquation. Il y a en outre un cahier des charges drastiques sur les aspects environnementaux : traitement des déchets à bord, gestion des fluides, hydrocarbures, sans parler de l’interdiction de poser le pied sur Saint Paul. La transformation se fait directement sur le bateau, cuisson le cas échéant et congélation, jusqu’à la mise sous film plastique. La perte est d’environ un tiers en poids entre une langouste entière et une queue. Nous sommes loin de l’époque héroïque où moyennant le versement d’une somme rondelette, n’importe qui ou presque pouvait obtenir une concession. La gestion de la ressource est la clé de voute du système, et accessoirement une source de financement importante pour les TAAF.

 

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Le peu de poisson que fait l’Austral est lui aussi très surveillé. Que ce soit les espèces (l’excellente fausse morue ou le toujours spectaculaire cabot de fond par exemple) ou là encore les quantités, la ressource halieutique fait comme la langouste l’objet de rapports réguliers envoyés par le Commissaire aux Pêches embarqué à bord des navires. C’est valable ici comme sur les autres districts pour en particulier la légine.  Pour préciser un point (ça peut paraître surprenant mais un hivernant m’a posé la question tout récemment, et après tout il n’y a pas de questions idiotes, seules les réponses le sont parfois), il n’y a pas de chalutier dans les ZEE des Terres Australes, que des palangriers. La palangre, c’est un peu la pêche à la ligne industrielle, avec des lignes et des hameçons, là où le chalut est un aspirateur, qui prend tout sans discernement (vous avez tous vus ces images de requins, dauphins, requins baleines, barracudas, pris dans des filets) avec une gestion catastrophique de la ressource et des taux de rejet hallucinant, parfois proches de 80 %. Les filets longs d’une dizaine de kilomètres sont la mort programmés des océans. Le problème avec la palangre est le danger pour les oiseaux qui plongent pour manger les appâts. La mise à l’eau des lignes la nuit est l’une des solutions identifiées pour régler le problème.

 

L’heure n’est plus aux chiffres puisque la campagne prend donc fin avec le mois d’avril. Bientôt, les langoustes partiront vers le Japon ou les Etats-Unis, et les marins poseront le sac avant de se préparer pour une nouvelle campagne dans six mois.

 

Derniers saluts, dernières discussions, dernier repas pris ensemble, derniers rires, ce soir, le navire est déjà loin. Avec l’annulation d’une escale d’un autre navire prévue en mai, nous sommes à cette heure un peu loin du reste du monde que nous ne l’étions ce matin. Le bateau immobile continue sa course.

 

LMGB

 

photos : 100 % LMGB, Austral devant la cale en fin de campagne, chargement des casiers, langoustes d'Amsterdam

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Publié dans VIE QUOTIDIENNE

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B
Même après le petit déj, çà fait envie...
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