Lettres australes 2

Publié le par Le Bateau Immobile

 

mariion plage arrière

 

 

(reprise des programmes avec une coupure Internet de quelques jours)

 

 

 

Deux livres aujourd’hui au programme des Lettres Australes, mais les deux très bons dans des registres très différents.


Jean Paul Kauffmann, l’Arche des Kerguelen, Ed. Le Petit Vermillon 250 pages


Consacré exclusivement aux Kerguelen, ce petit livre nous convie à une ballade de quelques jours dans l’Archipel des Kerguelen, chemin initiatique qui nous mènera vers le grand sanctuaire, cette curiosité de la nature qu’est l’arche des Kerguelen. Dès lors qu’il pose le pied à Port-aux-Français, il part à l’aventure et nous fait la narration.


Le livre est un aller-retour constant entre passé et présent, une vision très personnelle de l’auteur tant sur l’histoire que sur ce qu’il y voit au hasard de ses rencontres avec les hivernants. Il est parfois un peu difficile à suivre dans les anecdotes brièvement mentionnées pour celui qui ne les aurait pas lues ailleurs, comme sur les longues marches hors sentiers (où lui-même a du mal à suivre) mais c’est la rançon à payer pour un petit livre aussi riche. Car Kauffmann a convié pratiquement tous les acteurs qui un jour ou l’autre ont joué un rôle dans l’histoire de l’archipel.

Kauffmann a aussi le mérite de mentionner des faits ou des personnes dont on entend peu voire pas parlé habituellement : l’épouse délaissée de Kerguelen, Rallier du Baty, les dazzle ships allemands de la seconde guerre mondiale, les baleiniers norvégiens …

 

Beaucoup de choses ont certes changé depuis son passage (le livre a été écrit en 1993) mais l’essentiel du livre reste d’actualité.  Le voyage de Kauffmann est cependant tout autant intérieur, et on devine que la quête de l’Arche est surtout un prétexte à retrouver des émotions de jeunesse, des auteurs qui l’ont marqué, des sentiments perdus peut-être. La fin est abrupte, comme le constat que dresse l’auteur en arrivant sur le site.

 

Le petit extrait : « je cherche dans la nuit les traces du campement. Après avoir erré pendant une heure, j’aperçois enfin une pierre posée sur le sol. Elle est blanche, taillée en cube avec les inscriptions MW 15 W. Je me figure que cet aérolithe aux proportions parfaites posé au milieu de cette confusion de rochers représente l’énigme des Kerguelen : le coffre de pierres, le double de l’autre arche. Le rectangle est fixé sur le sol dans une sorte d’attente. Pour recevoir quoi ? »

 

 

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Jacques Nougier, Pirate de légine, Ed. L’Harmattan, 200 pages

 

Avec cet « essai documentaire », nous quittons résolument les randonnées dans l’archipel des Kerguelen et les références bibliques de Kauffmann, pour aborder le sujet très délicat du braconnage dans la zone économique exclusive de la France.


L’auteur a choisi avec beaucoup d’astuce de donner la parole à Pablo, capitaine de pêche espagnol, qui après son apprentissage au large de Bilbao puis sur un caboteur en Argentine, se voit confier un bateau pirate armé pour la légine (voir le post « l’or blanc des mers australes ». A ce sujet les grands esprits se rencontrent, j’avais intitulé ce billet sans avoir le livre de Nougier, alors que lui-même a un chapitre « l’or bleu de l’océan indien austral). Cap sur les mers australes depuis Valparaiso à bord d’une barcasse à bout de souffle, empuanti de gasoil et transpirant l’humidité.

Sous un couvert romancé, J. Nougier (qui a hiverné à diverses reprises sur les différents Districts) nous apprend beaucoup de choses sur le business de la pêche (car de métier, voire de « grand métier » qu’elle était – j’emprunte l’expression à Jean Mallory, auteur du livre éponyme, la pêche est devenue un « bizness »), les capitaux masqués sous les multiples sociétés écran hébergées par des pays peu regardants, le maquillage des navires, rebaptisés à de multiples reprises, la misère des équipages prêts à se lancer dans des campagnes des plus en plus difficiles. Le Castor (qui fut un vrai navire) que dirige notre Pablo a eu pas moins de six immatriculations différentes au cours de sa vie, financé par un armement chilien avec le soutien de fonds financiers de Belize, est immatriculé à Saint Vincent et Grenadines. Prend place à son bord toute la misère du monde, mécaniciens russes, marins indonésiens, philippins ou vietnamiens, bosco espagnol … 


On en sait un peu plus aussi sur les moyens mis en œuvre par la France pour défendre le pré carré de son espace maritime et sa richesse halieutique, quitte à détourner ces pirates modernes vers d’autres eaux moins surveillées. Le livre, écrit en 2003, fait parfois allusion à des navires de protection qui ont été désarmé (l’Albatros qui est mentionné est le premier, aujourd’hui c’est le second qui circule dans la zone), mais il n’en reste pas moins un récit que l’on ne lâche pas.


Lire ce livre en ayant la chance de passer une année complète sur l’un des Districts est évidemment un privilège. Les navires dont Nougier parle passent ici au gré de leur calendrier, ceux pris en flagrant délit finissent au « quai de l’oubli » bien connus des amateurs de belles photos à la Réunion. Les mots de l’auteur prennent donc de la chair ici, et ses propos sont fidèles à ceux tenus soit par les pécheurs soit par les officiers de la Marine Nationale. Les oreilles qui espionnent les départs de frégates de surveillance, les communications des uns et des autres, le perpétuel jeu du chat et des souris. Mais le chat est de plus en plus fort et les souris ont pour l’essentiel fuit les parages devenus trop hostiles des Terres Australes Françaises. Le sort promis à Pablo et à son Castor est prévisible …

 

Le petit extrait : « Chang me confirma qu’il avait été pêcheur dans l’océan indien austral, il y avait une quinzaine d’années et ses souvenirs étaient encore vivaces. Il m’affirma qu’il y avait prescription, comme s’il avait des actes répréhensibles à se reprocher. A la cinquième cerveza, il me dévoila une partie de ses aventures :

 

-           cela se passait en 1986 et j’étais matelot à bord de chalutier d’Aberdeen, le port de pêche de l’île de Hong Kong, ce qui ne nous empêchait pas d’être immatriculé au Panama. Nous présentions ce pavillon uniquement lorsque cela était nécessaire, mais, selon les circonstances, nous en avions d’autres disponibles en timonerie … 


Bon week end à tous et bonne lecture

 

LMGB

 

photo LMGB : zone technique arrière du Marion-Dufresne, couverture des deux ouvrages

Publié dans GENERAL

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