Le dandy Fuli

Publié le par Le Bateau Immobile

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On peut trouver à chaque oiseau d’Amsterdam un homologue humain, toute objectivité mise de côté. Le skua, pillard et charognard, c’est le petit voyou, toujours à l’affût d’un mauvais coup à faire. Il passe nonchalant au dessus de votre tête, regarde, cherche le point faible et passe à la rapine. Le pétrel géant, c’est le tueur dans toute sa splendeur. Il regarde sa victime de son œil bleu ciel et sans coup férir va l’ouvrir en deux d’un coup de bec chirurgical. L’albatros à bec jaune, c’est Monsieur Tout le Monde, très présent ici et facile à observer. L’albatros d’Amsterdam est lui une rareté, une trentaine de couples ici, une reproduction lente (un poussin tous les deux ans) et beaucoup d’interrogations quant à son avenir. J’aurai l’occasion de vous reparler bientôt de ce deux derniers habitants de nos îles.


Et enfin il y a l’albatros fuligineux, le Fuli pour les initiés. Lui c’est le dandy, toujours en habit de soirée, livrée noire et dos sombre (le Fuli à dos clair existe aussi, mais le nôtre fait dans la sobriété), œil noir souligné d’un délicat trait blanc autour de l’orbite. Il n’est pas le plus grand, ni le plus puissant, ni le plus rapide, il se contente d’être le plus beau. Il vole élégamment dans les cieux, nous observe d’un œil curieux lors des transits vers Entrecasteaux ou à bord des bateaux, puis descend dans son nid, installé sur les à-pics les plus vertigineux, comme il descendrait de calèche. Là où les autres albatros choisissent soit des terrains plats (plateau des tourbières, une grande zone plane en « altitude » de l’île), ou le sommet des falaises pour le bec jaune, le Fuli choisit lui des endroits impossibles ? à flanc de parois, son nid caché sous les scirpes. Le Fuli ne se commet pas avec le commun des albatros, encore moins avec d’autres espèces.

 

Avant toute chose pourquoi ce terme de fuligineux ? un petit coup de moteur de recherche (au risque de vous décevoir, je ne sais pas tout de ce que je vous écris !) nous apprend que « fuligineux » veut dire « qui produit de la suie, ou de sa couleur ». Un peu comme une vulgaire mésange charbonnière donc, mais notre oiseau ne fait pas de charbon, non, il est … fuligineux.

 

Amsterdam est pour la famille Fuli le point le plus septentrional de peuplement, il est plus coutumier des territoires plus austraux : les Kerguelen pour commencer, mais aussi les espaces plus reculés, Heard (Australie), Macquarie (encore Australie), ou au-delà de l’océan indien, la Géorgie du Sud (Atlantique sud) et Campbell (qui appartient à la Nouvelle Zélande). La branche à dos clair, qui vit, elle, dans un habitat moins mondain qu’Amsterdam, et lui préfère les eaux plus froides du courant subantarctique et les îles qui s’y trouvent. La zone de confluence autour d’Amsterdam est elle l’apanage du Fuli à dos sombre.

 

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Mais son passage ici sera provisoire, comme à vrai dire la quasi-totalité des espèces présentes : la terre est pour elles un espace d’accouplement et de reproduction, l’essentiel de leur vie est en mer. Fuli Ier nous fait donc l’honneur de sa visite en novembre, le temps pour lui de rendre ses hommages à Madame (hommages empressées soit dit en passant, car le temps le presse), de voir l’héritier – unique - naître en janvier puis de quitter l’île vers fin avril. Nous verrons donc bientôt les Fuli nous quitter. Fidélité à une île, fidélité à une compagne (un compagnon), le Fuli reviendra l’an prochain ici, même s’il ne se reproduit que tous les deux ans. Le dandy ne se roule pas dans le stupre et la fornication.


Nous comptons ici une centaine d’individus et la population ne paraît pas augmenter. La mortalité des poussins est un problème majeur, probablement à cause des maladies transmissibles par l’homme. Vieille souche aviaire encore présente sur l’île ou autre cause, le fait que notre présence ne semble pas jouer un rôle positif sur celle du Fuli. Les Fuli en général se font rares : cycle de reproduction lent, victime indirecte de la pêche, contact humain … C’est un vrai motif d’inquiétude, d’autant que c’est l’un des oiseaux que nous préférons (évidemment, il a plus le profil qu’un charognard). Le seul point positif est que les comptages sont très aléatoires à la fois en raison du terrain difficile et de la difficulté à les repérer. Il est donc possible que les populations soient sous-évaluées.


Lorsque nous filons – certains diront que dans mon cas « filer » est un terme impropre, mais le Disams est comme le Fuli, il n’entend pas les propos de diffamatoires – vers Entrecasteaux, nous commençons à l’apercevoir à l’approche des falaises. Il nous survole, nous observant à petite vitesse, ses pattes palmées déployées pour ralentir son vol (c’est un oiseau avec une grande portance, qui n’a donc pas besoin de faire beaucoup d’efforts pour se déplacer, contrairement à la sterne par exemple). Son œil noir cerclé de blanc est toujours une curiosité à admirer. Et quitte à faire de l’anthropomorphisme (très chic de mettre ce mot sur un blog), faisons le jusqu’au bout, nous avons l’impression qu’il nous sourit. Comme le dauphin (qui évidemment ne sait pas ce qu’est un sourire).


Le Fuli, dandy d’Amsterdam, apporte un peu de beauté sur notre District. Sa trajectoire incertaine, son faible nombre face à la meute des pétrels et des skuas contribue encore à nous faire comprendre que la beauté en ce monde est décidément rare.

 

LMGB

 

Photo : LMGB depuis l’Austral et gros plan sur le Fuli de Ker (photo publique). Petit souci pour charger une autre photo d'ici, je compléterai dès que possible

 

 

 

 

Publié dans BIO

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B
il me plaît bien ce Fuli joli...
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