L'envers du décor : les mille et un tracas des hivernants

Publié le par Le Bateau Immobile

 

 

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Les otaries, les ballades au sommet de l’île, les albatros qui virevoltent autour de nous, les navires de passage, les soirées anniversaires ou fêtes de tous ordres, une vie communautaire idyllique, nous avons la vie rêvée. Et nous sommes payés pour çà !


Voilà ce que dirait quelqu’un qui aurait de notre année ici une vision superficielle.


Mais si tout ceci fait certes partie de la réalité, c’est loin de refléter ce que peut être notre vie ici. Trois évacuations sanitaires à organiser pour des marins, et deux demandes de retours anticipés pour des hivernants, des expulsions sur d’autres districts, des heurts voire plus aussi, l’alcool, les tensions, les complots, l’esprit de clan, être présent sur un District et plus encore le gérer ne sont pas un voyage de tout repos.


Le milieu est en lui-même difficile. Un touriste me faisait le commentaire lors d’une rotation précédente en lisant le guide de bienvenue : « dites nous plutôt ce qui est permis, ça ira aussi vite ! ». Il est vrai que nous restreignons beaucoup la liberté de circuler. Les touristes doivent rester sur les chemins (et il y en a peu), ne pas trop s’approcher des falaises, surveiller les otaries, se munir de bâtons. Ils sont encadrés lors des sorties par des accompagnants et des hivernants experts en un domaine (les phylicas par exemple), qui mine de rien regardent aussi comment chacun se comporte. Personne n’est à l’abri d’un accident ou d’une défaillance. Même sur des endroits à priori sans danger, même concernant des personnes en bonne santé, le risque est partout. La stèle Gleeson, dans l’est de l’île est là pour nous le rappeler. Gleeson était un jeune chercheur britannique, disparu au cours d’une sortie en novembre 81. Il est à ma connaissance le dernier décès connu ici.


Chaque passage du Marion-Dufresne est aussi pour nous l’occasion de mesurer l’affaiblissement de nos défenses naturelles. « La Marionite » fait régulièrement des ravages, avec les virus que ne manquent pas de nous laisser les passagers descendant à terre. Coup de froid, grippe, angine, gastro. Le dernier passage n’a pas failli à la règle. La semaine qui s’ensuit demandant encore pas mal d’effort pour tout remettre en ordre, ranger, inventorier, nous avons tout le temps d’arriver bien lessivés au week end suivant, en parfait état pour un virus, que nous prendrons ensuite bien soin de nous transmettre entre nous.


Mais le pire n’est sans doute pas là et nous renvoie plutôt aux raisons qui nous ont amené ici. On ne vient en effet pas ici (ou à Crozet, qui a une population proche de la notre ou aux Kerguelen où les hivernants sont sensiblement plus nombreux) pour rejeter une vie qui ne nous satisfait plus. Fuir à tout prix, se réfugier dans un cocon rêvé … et retrouver les mêmes problèmes qu’au départ. Il faut une vraie envie, un vrai projet, pas juste dire non à quelque chose. Ici, les problèmes laissés derrière sont décuplés, d’autant que l’on ne peut pratiquement rien y faire. Qui plus est, la paranthèse a un terme, et le retour se prépare au moins autant que le départ.

 

 

 

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Les départs anticipés ont souvent des causes extérieures au District. Des problèmes de couple, l’envie de retrouver ses repères, la difficulté de se retrouver au sein d’une communauté avec les mêmes personnes 24 heures sur 24. Entre envie d’être dans le groupe quitte à prendre un masque et à poser un mouchoir sur ses goûts et ses pensées, l’équilibre n’est pas simple. Les conjoints sont une cause fréquente de retours anticipés. Les divorces ne manquent pas non plus. Un séjour ici fait ressortir tous les problèmes, entraîne beaucoup d’incompréhensions. Rentrer retrouver l’être cher ou tenter de rétablir un couple en danger est tentant, mais sans doute illusoire.

Sombrer dans l’alcool est une autre tentation. Des ruptures, l’ennui de journées trop prévisibles, des conflits de personnes dont on ne se souvient même plus de l’origine, les prétextes ne manquent pas.

 

Le Chef de District lui n’a pas ces problèmes. Non pas qu’il soit indispensable. Des cas de remplacements, il y en a eu dans le passé. Mais sa fonction en fait un solitaire. Tous les rapports de mission qui ont la franchise d’aborder le sujet le dise clairement, il est seul, sollicité pour des questions toujours relatives au fonctionnement de la base, à des demandes personnelles ou des passe-droits. C’est une chose à admettre, faute de courir le risque de se tromper de relation avec certains hivernants. Attendre ce que certains ne sont pas à même de donner, c’est courir un grand risque. Nous avons vu passer quelques consommateurs aussi, ayant une approche utilitaire de la relation. Humainement, c’est bien sûr décevant, mais ça ne doit pas changer le cap pris.

 

Nous sommes désormais vingt. Six d’entre nous sont à Saint Paul à 80 km d’ici pour deux semaines. Cinq partent demain pour deux jours de ballade dans l’île. Nous allons donc être … neuf pendant 48 heures. Autant dire que la base aura un peu l’allure d’une ville fantôme, impression renforcée par le mauvais temps actuel qui pousse chacun à limiter ses déplacements. C’est un premier test de la capacité de chacun à passer les deux vrais mois d’hiver qui se profilent à l’horizon. Nous aurons d’ici là épuisé le stock de films disponibles, nous connaîtrons par cœur, aurons partagé les bonnes blagues de chacun. Mais ces vingt là sont les bons. A tort ou à raison, je trouve que ce groupe est très mûr, vit plutôt bien, avec une bonne solidarité et pas de conflits. C’est la meilleure chose qui pouvait nous arriver.

 

SUNRISE AU LARGE D'AMSTERDAM

 

Le District prend peu à peu ses quartiers d’hiver. Les heures de jour diminuent rapidement, en ce moment à peine plus de onze heures par jour. A l’heure où j’écris ces quelques lignes, il est 17h30, la nuit est déjà tombée. Les navires vont bientôt disparaître. Le Marion-Dufresne ne reviendra que pour nous chercher en septembre. La saison de la langouste s’achève à la fin du mois, et avec elle partira l’Austral qui repartira à la Réunion. Nous n’aurons dès lors plus que deux ou trois passages de navires annoncés.


Le rideau se referme sur la scène.

 

LMGB

 

 

Photos : encore du 100 % LMGB, l’océan austral depuis la passerelle du Marion, départ du Marion depuis le Port, soleil dans la brume

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Publié dans VIE QUOTIDIENNE

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R
pense à me retirer de la liste des postulants à un séjour dans ton coin !!! ;-))<br /> Virus, promiscuité, antagonismes ... ça me fait penser au film "The Thing".
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