Bateau Fantôme droit devant !! (1)
Réunion – Crozet – Kerguelen – Amsterdam, soit un quadrilatère de près de cinq millions de kilomètres carrés, presque dix fois la France … une zone battue par tous les vents, qui agitent une eau plus noire que la gueule béante de l’Enfer, où nous sommes menacés d’être précipités à chaque vague, où l’on pourrait croire que toutes les bêtes à cornes, satrapes et esprits coquins se sont donnés le mot pour nous attendre ce soir ! Mais quel donc cet étrange Chaudron dans lequel s'agitent toutes ces créatures étrange ?
Plus de la moitié de ces eaux est sous protection française, la fameuse ZEE, Zone Economique Exclusive, contribuant à faire de notre pays la seconde puissance maritime mondiale (toute mon estime à qui me trouvera la première). Qui plus est, ces eaux regorgent d’espèces prisées un peu partout sur la planète, légine des Kerguelen, langoustes de Saint-Paul et d’Amsterdam, sans parler des baleines ou des rorquals … Tout ce que le monde compte d’embarcations douteuses semble se retrouver ici, barcasses béliziennes ou honduriennes, pêcheurs coréens, langoustiers taïwanais, navires scientifiques japonais (qui sont à la science ce que le carré frais Findus est au poisson d'eau vive), sans parler des barcasses improbables venues pour l’essentiel d’Asie, pauvres hères cambodgiens ou vietnamiens … Les pavillons de complaisance ne manquent pas et représentent 2/3 des bateaux de commerce circulant (ou essayant de circuler dans les pires des cas). Mais revenons à nos moutons, ou plutôt à nos langoustes …
Sur l’écran radar, l’opérateur s’écarquille les yeux à essayer de distinguer les échos parasites, grosses vagues par exemple d’un éventuel contact plus substantiel … Mais pourtant la mer est vide, car ces bateaux n’existent pas pour la plupart. Sans permis, sans immatriculation, appartenant à des armements enregistrés nulle part, des pays que personne ne connaît, République Démocratique du Baloutchistan Supérieur, Union de la Transnistriade à Rayures, derrière lesquels s’agitent des capitaux frénétiques, sociétés écran mauricienne ou seychelloise, armant sous pavillon mongol, avec un financement espagnol ou grec, ce sont des fantômes avec lesquels se joue un gigantesque jeu de contrebandiers. Et ce jeu n’a pas de règles, si ce n’est la raison du plus fort ou du plus malin, et au jeu du chat et de la souris, le chat ne peut pas s’endormir, car les souris ont bon appétit. Au dessus de nous, le ciel noir qui obscurcit les terres désolées semble augurer d’un avenir mauvais … Toujours le Diable et son haleine fétide qui vient nous narguer.
Dans la nuit noire qui entoure déjà l’ile de Saint-Paul[1], nul bruit alentour, si ce n’est le vent qui cingle éternellement la Roche Quille, vigie impassible devant le cratère[2]. Les vagues moutonnent sur les brisants qui marquent la zone effondrée du cratère, son intérieur est dans le noir absolu. Le chat et la souris … Au moment où nous contournons la pointe sud de l’île, la bascule du vent nous apporte un raclement affreux, le bruit entre mille reconnaissable d’une chaîne qui mord à pleines dents une poulie, les plus experts de matelots prétendent même entendre l’eau qui s’écoule sur le pont du pirate. L'haleine de celui-là aussi a quelque chose de diabolique. Pourtant la nuit noire ne laisse rien deviner, et déjà le bruit cesse. Nos sens sont si trompeurs … nos phares balaient l’immensité mais rien n’y fait, nous ne voyons rien. Pourtant nous distinguons un bruit de moteur, quelque part dans le Nord Nord-est. Pour tout arranger, le baromètre s’effondre, le vent forcit, notre navire commence à prendre un mauvais roulis qui nous empêche de nous concentrer sur notre fantôme. Mauvais carri nous dit le Créole d’un air lugubre …. Le Diable semble me rire au nez, par la barbe du Capitaine Haddock !!
S’agit il d’un vrai navire ou les hommes du bateau se sont ils laissés abusés ?
Le carri était-il si mauvais ce soir-là ?
Le Diable aura-t-il la peau de Gros Bec ?
Reste t'il du rhum dans la cambuse ?
Vous le saurez prochainement en consultant cette page …
LMGB
[1] L’île de Saint Paul est située à environ 40 miles nautiques au sud d’Amsterdam et lui est rattachée. Elle est placée sous la responsabilité du même Chef de District, qui en assure la protection, avec les moyens qui lui sont donnés
[2] Saint Paul est une île d’origine volcanique, dont l’un des versants s’est effondré et a laissé la mer s’engouffrer à l’intérieur du cratère, sur le modèle de Santorin en quelques sortes. Elle a depuis lors la forme caractéristique d’une raie Manta. Si l’accès au cratère est possible pour les bateaux à faible tirant d’eau, l’île ne constitue pas un bon refuge pour autant. Classée en réserve naturelle intégrale, mettre le pied à terre est en principe interdit.